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Le centrafricain est victime de malédiction

Il y a deux sortes de gens : ceux qui peuvent être heureux et ne le sont pas, et ceux qui cherchent le bonheur sans le trouver. Ce proverbe arabe semble bien décrire le cas du Centrafrique qui a tout pour briller mais ne brille pas et le centrafricain lui même qui cherche le bonheur mais ne le  trouve pas. Il est vrai qu’un pays ne brille que par le dévouement de son peuple mais l’absence de la bannière aux cinq couleurs au concert des nations fait un effet de boule de glaçon dans un bol de lait chaud. Ce pays n’a-t-il pas d’hommes brillants ?

Drapeau-rca-boganda
Drapeau-rca-boganda source www.lemonde.fr

Il m’est coutumier de parler des affaires du pays dans mon entourage et même avec des gens moins âgés que moi. Mais jamais je ne m’étais retrouvé à répondre à une interrogation aussi embarrassante que celle venant d’un jeune avec  des années de moins que moi.

Pourquoi aucun centrafricain n’est brillant?

Je bavardais de tout et de rien lundi dernier avec un jeune ami quand soudain, je ne sais par quelle motivation, il me lança :

–          Pourquoi aucun centrafricain n’est brillant?

Il me paraissait facile de répondre à cette question quand on sait que je suis de prés les montées et les descentes des gens de mon pays. Je me vois capable de parler une journée entière de gens d’ici ou de là bas. Après un sourire sournois, je me mis à lui citer les gloires centrafricaines que je connais. Je lui contais la guerre de Ngoko-wara et les prouesses de Karinou, lui chantant le courage de Barthélemy Boganda,  dans sa lutte pour la liberté du peuple oubanguien et son triste accident du 29 mars 1959, je n’avais laissé de part  la diplomatie de David Dacko du temps où il était à la tête de la RCA, l’esprit d’innovation de Jean Bedel Bokassa le conduisant jusqu’à imiter Napoléon et devenant l’empereur de Centrafrique , le doux tempérament d’André Kolingba, la langue de vipère d’Ange Félix Patassé contre la France, la belle carrière militaire de François Bozizé, jusqu’à l’improbable prise de pouvoir de Michèle Djotodia, sali par les égarements de sa bande de Séléka. Je me plaisais à glorifier les hommes politiques de mon pays quand, le silence lointain de mon interlocuteur me fait penser à Mambacka, ce grand homme de culture reconnu partout en Afrique et dans le monde pour son engagement pour l’art et la culture centrafricaine. Je me mis alors à lui parler de ce célèbre Piko (Arier Nzapassara), ce comédien ayant joué un rôle principal dans un cinéma long métrage et sa célèbre phrase connu de presque tous les enfants de la génération 80-90, « Mö mou kondo so mo goué na ni na Japon »*. Ah cette phrase me donnait l’envie de faire carrière en cinéma car pour nous à l’époque il était rare de voir un film centrafricain passer à la télé. Je n’avais oublié Didier Ouenangaré et son « Silence de la forêt« . Si tu veux, je peux t’en citer d’autres lui disais-je tout excité, à l’idée de lui faire comprendre que mon pays regorge de bien de potentiels humains. Regarde Mapou Yangambiwa, l’ex capitaine de Montpellier, le tout premier centrafricain d’origine à être champion de France, Foxi Kettevoama champion du Kazakhstan avec l’Astana, Eloge Enza qui a fait les beaux jours de L’ESTAC avant de signer à Valencienne cette saison. Comment dire qu’il n’y a pas de centrafricain brillant si Idylle Mamba  n’avait pas représenté dernièrement le pays aux jeux de la francophonie à Nice et continue de faire la fierté de la bannière au cinq couleur ? Comment dire cela si Alain Zankifo s’est fait roi du ring du kick-boxing au nom du Centrafrique? S’il n’y pas de centrafricain brillant, que diras-tu de Boddhi Satva bien connu pour ses productions (AncestralSoul) et dont son premier album « Invocation » est maintenant disponible dans le monde entier. Prudence Maidou fait bien le poids quand elle joue dans « Dakar Trottoir » aux côtés d’Éric Ebouaney, Singuila même si les congolais se disputent avec nous son appartenance, est connu pour avoir des racines centrafricaines, Romain Sato même s’il gère mal ses tourments avec les dirigeants de la Fédération Centrafricaine de Basketball est bien le premier centrafricain à fouler les parquets de la NBA. Je pourrais passer une journée entière à citer ceux qui marquent à leur manière, les belles couleurs de notre patrie. Je lui parlais de James Mays et sa séléction en février dernier pour participer aux all-Star game de la NBA. Je cherchais encore dans la longue liste des centrafricains accrochés à leur patrie ou dénaturalisés par la force des choses, quand d’une voix tremblante, mon jeune ami s’indigna:

– Nous n’avons même pas un homme politique à la hauteur de Mandela, même pas un sportif de l’acabit de Samuel Eto’o ou Didier Drogba, aucun de nos musiciens ne peut se mesurer à Koffi Olomidé ou Papa Wamba.

Le pays n’a aucune identité, comme le Cameroun avec son football, la Côte d’Ivoire avec son cacao, le Sénégal avec son île de Goré, le Congo démocratique avec ses musiciens, le Togo et le Benin avec leur Vodou… Nous n’avons aucun monument qui nous représente à l’international comme l’Egypte avec ses Pyramides, la France avec sa Tour Eiffel, les Etats Unis avec la statue de la Liberté, alors comment justifier ce manque de présence à l’international?

Là encore j’étais embêté… Mais d’un coup, je me souviens d’une version officieuse de l’accession à l’indépendance du Centrafrique, ce bruit de vent qui pourtant justifierais notre absence dans le concert des nations est peut être dû un seul fait. Boganda, le père de l’indépendance aurait maudit ses pairs Oubanguiens.

La malédiction de Boganda:

Nous étions à la veille de l’accession de l’Oubangui-Chari à l’indépendance, le pays est frappé par une nouvelle tragique. Barthélémy Boganda, le premier prêtre, le premier grand homme politique, le premier maire élu de Bangui, le Président du Grand Conseil de l’AEF (Afrique Équatoriale française), le fondateur de la République Centrafricaine le 1er décembre 1958 et surtout la plaie puante d’une église catholique dominée par l’impérialisme occidental de l’époque, perd la vie dans un crache d’avion. Comme ces pairs défenseurs de leur peuple, Boganda se fait voler la vie et son rêve de voir une Afrique unie. Cette perte comme le dit la chambre commune, pour ne pas dire le commun d’un Centrafrique instable depuis les indépendances, est la cause même de l’inexistence tout domaine de ce pays qui a tout pour briller mais tarde à décoller. Celui qui aura donné de sa vie, aurait avant de rendre l’âme maudit ceux qui ont occasionné sa perte. Les Oubanguiens. Tous les oubanguiens qui s’aventureraient à diriger le Centrafrique ou devrais-je dire, l’actuel Centrafrique de Transition ne verront qu’échec. Je serais mauvaise langue pour citer, les Dacko, Bokassa, Kolingba, Patassé, Bozizé et peut être même Djotodia qui marque, le dernier rempart de ceux qui ont directement travaillé avec Boganda. Oui j’ai vraiment envie de croire à cette version des choses pour dire que Boganda ait maudit les Oubanguiens. Sinon comment justifions-nous cet éternel retard?

Etre centrafricain, descendant des Oubanguiens est un mal de vivre

J’en revenais de ma justification combien même fastidieuse de cette inexistence de mon pays quand je me rendis compte que réellement, tous ceux qui ont un rapport parental avec ce pays, ne décolle jamais. Christ cet ami de longue date avec qui je tiens cette causerie, affirmait encore:

-Si tu veux faire une carrière internationale, il ne faut jamais dire que tu es centrafricain, sinon la malédiction de Boganda te poursuivra encore et tu ne réussiras jamais.

Me donna t-il des exemples d’hommes ou de femmes d’origine centrafricaine qui pourtant ont essayé de se différencier: Karinou aurait pû être reconnu au même titre que le tchaka Zoulou, Bokassa aurait pu mériter le même respect qu’on donne à Idi Amin Dada, Idylle Mamba aurait pu être considéré comme la Mbilia Belle version centrafricaine, Prudence Maidou serait peut être notre Angelina Joly si les querelles politiques des Oubanguiens n’avaient pas fait de morts pour leurs intérêts égoïstes ce 29 mars 1959.

Mais que diable, pourquoi Yangambiwa, n’a pas une école de football en son nom à Bangui? Pourquoi il n’existe aucune salle de ciné au nom de Ouenangaré ? Pourquoi il n’existe aucun prix littéraire au nom de Goyemidé ? Pourquoi Satva n’ouvre pas la plus grosse discothèque de Centrafrique à Bangui par exemple en son nom?  Sato n’a même pas un camp de basketball en son nom, il n’existe aucune école militaire au nom de Bokassa, Kolingba ou Bozizé. Je veux bien croire à cette malédiction mais si le centrafricain qui essaie de briller ne fait rien pour son propre nom, personne n’entendra parler de lui.

* « Je t’offre ce coq, prend-le, ramène-le au Japon »


Centrafrique : Bangui la ville poudrière

Dit-on qu’au pays des aveugles, le sourd est roi parce qu’il voit ? En Centrafrique, l’homme armé est tout simplement un dieu, il a entre ses mains le pouvoir d’arracher la vie et pour sa grandeur, il réclame tous les honneurs. Puis que tout humain rêve d’être Dieu, à Bangui tout le monde ou presque s’offre une arme. Ce cas de figure perceptible dans plusieurs pays d’Afrique et du monde semble la cause des multiples conflits armés et des commerces incontrôlés et répandus des armes de tout genre. Ici, les mauvaises habitudes ont fait des Centrafricains les premiers garants de leur propre sécurité. Chacun se protège donc à sa manière et c’est devenu une mode de s’auto-protéger au pays de la bannière aux cinq couleurs.

L’épisode Seleka, le plus sombre et triste des  interminables feuilletons meurtriers des crises militaro-politiques de la République centrafricaine, bien plus qu’un trait dans l’histoire, est incontestablement le jalon d’une perte d’identité de la sécurité publique.

Bienvenue dans la cité de la loi du plus fort

La capitale centrafricaine, en proie ces vingt dernières années aux crises militaro-politiques ayant donné naissance aux incalculables et incontrôlables groupes armés, serait devenue le sanctuaire des bandits aux mains armées. Les rues et maisons de Bangui sont bien plus remplies d’armes que les poudrières de l’armée nationale devenue inexistante depuis le début de la trilogie Seleka-Bozizé, est-il juste de décrier, quand on sait qu’à chaque coin de rue et dans bien plus d’une maison, il ne semble pas une surprise de trébucher sur une Kalachnikov, une cartouche de pistolet ou tout simplement sur un effet militaire devant normalement ne pas avoir sa place là. Tout le monde possède une arme, tout le monde veut faire parler la poudre et tout le monde a sa propre loi à Bangui. Les violences armées rythmeraient le quotidien des Banguissois au point que certains quartiers se sont vidés de leurs habitants. Les récentes violences perpétrées dans le quatrième arrondissement notamment à Boy-Rabe ont occasionné le départ de nombreuses familles vers d’autres quartiers jugé moins violents. Or, aucun quartier de Bangui n’est épargné par ces violences, comme le témoigne les cas de braquages et de bagarres.  Ces violences sont le plus souvent signalées aux alentours des bars dancing et les marchés. Jeudi 12 septembre 2013 une des effroyables scènes de braquage se déroule dans le 1er arrondissement : un véhicule de l’Organisation des Nations unies pour l’Enfance (Unicef), à bord trois hommes et une dame. Le véhicule stationné à l’entrée du marché de Saïdou est réquisitionné de force. Les habitants des quartiers Sica I, Saidou et ceux des alentours se font involontairement témoins de cette abominable scène ayant effrayé les spectateurs et faisant de la dame à bord, l’unique blessée de cette nouvelle action des hommes forts de Bangui. Voitures volées, maisons pillées et passants braqués. Sortir son nez dehors ou traîner à des heures avancées dans la nuit est le pire des châtiments que l’on peut infliger aux Centrafricains en ces temps. Christ, un voisin de quartier et boutiquier, me confirme au lendemain du braquage à Sica : « Il n’y a plus de discrétion maintenant pour ces assoiffés de tout. Ils braquent et tabassent à coup de ‘’Albatacha’’ qui ils veulent… » Mais faisant de cette situation ma préoccupation, j’aimerais bien savoir  si ces violences à Bangui ont pour unique auteur les Seleka ?

Cartographie des violences armée : les violences dépeignent Bangui

 J’ai promené mon regard et reparti selon les zones urbaines à éviter les quartiers de Bangui, reconnus très fréquentés par les ressortissants de la coalition rebelle Seleka au pouvoir. Cette cartographie fait un état des lieux du degré atteint par les violences armées depuis le lendemain du coup de force du 24 mars 2013.

Insécurité à Bangui
Cartographie de la violence à Bangui.

 Si l’on se croise sur le territoire centrafricain, ne me demandez pas de soulever mon tee-shirt, comme tout le monde, j’ai décidé de me protéger.